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mercredi, 30 novembre 2011

DU SAVOIR COURTOIS A HANNAH ARENDT

Résumé : après diverses considérations sur le « savoir courtois », retour laborieux à HANNAH ARENDT.

 

 

A propos de « savoir courtois », il faut dire que, si je fuis tous les « systématistes » et autres élaborateurs extrêmement savants de globalités, de généralités et autres totalités totalisantes, voire totalitaires, il y a bien sûr une part de décision, une décision quasiment politique, le refus horrifié d’une menace qu’on fait peser sur l’individu. Mais il n’y a pas que ça. Il y a aussi une infirmité. Enfin, c’est peut-être une infirmité. Pas sûr.

 

 

Vous voulez que je vous fasse une confidence ? Vous vous rappelez sans doute le 12 juillet 1998, n’est-ce pas ? Eh bien, pendant que deux personnes qui me sont très chères avaient décidé d’aller au cinéma, juste parce que c’était gratuit ce soir-là pour les dames (H.) et demoiselles (J.), j’ai choisi d’écouter Cosi fan tutte, le casque sur les oreilles, qui m’a permis d’échapper aux trois énormes clameurs de la soirée. Je l’ai d’autant moins regretté que les deux personnes en question se sont laissé détourner par « l’ambiance d’enfer » qui régnait place Bellecour, où de gigantesques écrans avaient été dressé. Abdication pitoyable.

 

 

Ce n’est pas pour me vanter, mais j’ai lu Masse et puissance, de ELIAS CANETTI. Un drôle de livre, bizarre, atypique, qui m’a laissé perplexe,  dont le sujet avoué est une analyse du processus qui transforme une « meute » conduite par un chef en « masse » conduite par un « führer », suivez mon regard. Un drôle de livre, qui ne ressemble à aucun autre quant à son objet ou à sa méthode. Où ELIAS CANETTI veut-il en venir ? Ce n’est pas évident. Si je me souviens bien et pour résumer, l’individu, dans la meute, a encore une existence propre, qu’il perd quand celle-ci se transforme en masse. Mais c’est sûrement plus compliqué que ça.

 

 

Pour vous dire, si j’ai fait de l’alpinisme, c’est qu’au sommet du « Moine », du « Grépon » ou de « Trélatête », il y a place pour trois, allez : quatre si on se serre. On est encore des individus. Et on fait de la place au saucisson et au kil de rouge (à 3500 mètres, « la plus humble piquette » (BRASSENS, « Le grand Pan ») se transforme en nectar. Or c’est  le même homme de bien qui l’a dit : « Le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on / Est plus de quatre, on est une bande de cons » (« Le pluriel »).

 

 

C’est pourquoi j’ai tiré il y a fort longtemps un trait violent sur les plages du Midi en été, le supermarché le samedi matin, l’autoroute A7 pendant les week ends de « pont », et un certain nombre d’autres lieux qui attirent la concentration du genre humain, devenus comme des camps de sinistre mémoire.

 

 

L’agglutiné vit au rebours de sa propre vie. Ou c’est que je ne sais rien. Je commence à respirer quand l’humain se raréfie. Quand l'individu se dessine et prend forme et consistance.  Supermarché, cinéma ou remonte-pente, l’un des fléaux de notre temps est la file d’attente. Quand il s’agit de faire nombre, je me désagrège. Car il s’agit de faire nombre, il paraît. Il paraît aussi, d’ailleurs, que ça se mesure. Scientifiquement, même.

 

 

J’adapterais volontiers la fable du Corbeau et du Renard en la faisant finir par une sentence comme : « Sachez que tout sondeur vit aux dépens de celui qui répond. Cette leçon vaut bien mon fromage, pauv’con !». J’ai pris « sondeur » parce que ça passait mieux que « statisticien ».  

 

 

J’envierais celui qui porterait sur sa carte d’identité une mention du genre : « Celui qui ne ressemble pas ». Ou : « Perturbateur de statistiques officielles ». Et l’expression « fondu dans la masse » me semble d’une terrifiante vérité. « Fondre » à une température donnée, n’est-ce pas perdre ses contours, ses traits ? Disparaître ? A cet égard, je suis profondément occidental.

 

 

Il paraît que l’oriental se vit comme simple élément d’un grand tout, ce qui a au moins le mérite de faciliter sa disparition, alors que chaque occidental se vit comme une réplique en miniature du centre du monde, et comme tel, irremplaçable. C’est pour ça que SARKOZY se sent obligé de payer des rançons quand des Français sont enlevés au Mali ou au Yémen. Même et surtout quand il nie avoir payé un seul centime.

 

 

Occidental, je suis, occidental je reste. J’accepte l’héritage de l’individu et des Lumières. Plus consciemment et plus volontairement que des gens prêts à piétiner leurs semblables pour rejoindre leur petit carré de plage, parfumé à l’ambre solaire et au suint bestial des animaux vautrés. 

 

 

Vous avez compris pourquoi la télévision n’a jamais franchi mon seuil : être comptabilisé comme un petit sept milliardième de l’humanité ou le  six millionième de l’audience de FRANÇOIS HOLLANDE à la télé m’importe autant que le slip de flanelle que portait le président CARNOT quand il fut assassiné. Le problème de la télévision, c’est qu’elle fait disparaître les individus qui la regardent sans que ces individus s’en rendent seulement compte.

 

 

Bon, je vais quand même tâcher de revenir à HANNAH ARENDT. J’ai un peu l’impression de piétiner à l’entrée. Voire de reculer. Enfin, je me dis que je ne quitte pas tout à fait le terrain. Si j’insiste, c’est que je crois que cette femme, sans a priori, sans volonté de « faire système », nous parle du monde qui est le nôtre, et essaie d’en dégager pour nous le sens. Ce n’est pas une négatrice. Je crois même qu’elle ne l’est pas assez. Mais c’est qu’elle reste attachée à une démarche profondément philosophique.

 

 

Il faut d’abord dire que la Grèce ancienne fascine HANNAH ARENDT, qu’elle est très souvent présente à son esprit comme modèle insurpassé de civilisation, auquel il convient de se référer en priorité. C’est un socle. Pour parler franchement, j’ai buté sur la distinction entre « privé » et « public », et il y a des maillons du raisonnement qui m’échappent.

 

 

« Privé » ? « Public » ? On se rappelle les batailles de chiffonniers qui ont été livrées autour des chiffons « islamiques ». Qu’est-ce que c’est, « l’espace public » ? Il me semble qu’aujourd’hui, on peut dire qu’on entre dans l’espace public dès qu’on sort de chez soi. Si c’est bien ça, ce dont je ne suis pas si sûr, finalement, l’espace privé, j’en conclus que c’est tout simplement « chez soi ». C’est pas logique, ça ? Et bien pour les Grecs de l’antiquité, pas du tout, figurez-vous.

 

 

Si j’ai correctement compris, les Grecs opposaient le social (autrement dit le privé) et le politique (autrement dit le public). Du côté du social, la famille, cellule de base, où le père règne en despote, la famille qui est régie par la nécessité. ARENDT semble soutenir que toute l’économie antique relevait exclusivement de la sphère privée. Du côté du social et de la nécessité, encore, le travail. Tout cela est donc considéré comme relevant de la sphère du privé.

 

 

Du côté du politique, il y a la cité, la « polis » (πόλις), où règne l’égalité entre des individus libres. Être libre, c’est n’être ni chef, ni sujet. C’est dans cette sphère publique que se réalise la politique, que s’exerce le gouvernement. Pour HANNAH ARENDT, cette division des tâches semble être la plus noble qui puisse être, car c'est au niveau de cette vie publique que s'organise la société des hommes.

 

 

Ensuite, ça se complique. Au moyen âge, le privé prend de l’extension, donc le politique en perd logiquement, parce que le gâteau essentiel n’est pas plus gros qu’avant, ce qui entraîne une contamination du politique par le social, et de ce fait même, une réduction de l’homme à une fonction économique. Jusque-là, c’est logique.

 

Si j’ai correctement compris, c’est au 18ème siècle qu’apparaît la notion d’intimité. Et c’est là que, pris en sandwich entre le « public » proprement politique et le « privé » (tout le reste ?), s’interpose quelque chose qu’elle appelle le « social ». Et si j’ai correctement compris, ce dernier est assez envahissant. On change de dimension. On passe de la famille à la société, mais en gardant le despotisme. Dans la famille ancienne, le despote, c’est le « paterfamilias ». Dans la société, c’est la MAJORITÉ, le despote.

 

 

Et qu’est-ce qu’elle devient, l’égalité ? Ben oui, c’est quand même dans la devise républicaine, non ? Là, HANNAH ARENDT a une idée qui me semble GENIALE. L’égalité des Grecs anciens, c’est de n’être ni chef, ni sujet. Notre égalité à nous, c’est le CONFORMISME. Parfaitement ! C’est rude, je sais. Et un conformisme conscient, lucide, voulu par la structure elle-même. La preuve ? La statistique, mon bon monsieur. La reine des sciences sociales. « La science sociale par excellence », dit HANNAH ARENDT.

 

 

Là, je ne peux pas faire moins que de renvoyer à mon blog KONTREPWAZON et aux articles sur les statistiques et le terrorisme de la moyenne (2008). Pourquoi ? Parce que je crois que l’entrée de la société dans la statistique fait passer l’Occident d’une ère proprement politique de la vie humaine en liberté à l’ère de la gestion comptable de l’humanité réduite à l’état de stock.

 

 

Même si ce n’est qu’une hypothèse, ça mérite d’être médité, en ces temps de propagande enfoncée dans le crâne des foules à coups de télévision et de radio (tous partis confondus). Attention, mesdames et messieurs, c’est qu’il y a de la pensée, ici !

 

 

Ben réfléchissez ! Au moment où la statistique et la moyenne font leur apparition, l’attitude et le comportement des dirigeants CHANGENT. Avant, qu’est-ce qu’ils ont, comme outils ? Rien. On commence aux missi dominici, aux préfets, aux commissaires, aux fermiers généraux, qui sont tous envoyés par le haut pour faire régner l’ordre du haut. C’est, on l’admettra facilement, ALEATOIRE.  

 

 

A partir du moment où, tout en haut, on sait, par exemple, sur combien d’hommes costauds on peut compter pour la prochaine guerre, parce qu’on a pris le soin de les compter, mais rendez-vous compte de l’avantage ! Il semblerait que ça ait commencé avec LOUIS XIV. Et la statistique, qui n’est pas une science, mais une suite d’opérations, va permettre l’épanouissement d’une autre discipline, une discipline dévorante, qui va bientôt prétendre au noble statut de science alors qu’elle n’y a aucun droit : l’ECONOMIE.

 

 

HANNAH ARENDT écrit : « L’économie ne put prendre un caractère scientifique que lorsque les hommes furent devenus des êtres sociaux et suivirent certaines normes de comportement ». Ce qui est extraordinaire, dans cette mutation brutale (« rupture », mais pas en termes sarkozystes), c’est que la moyenne statistique s’impose bientôt comme une NORME. Autrement dit, magie-magie : le simple constat prend force de loi.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre ? Peut-être.

 

 

 

 

lundi, 14 novembre 2011

L'EUROPE EST UNE SAINTE (1)

Bon, alors on a compris que l’Europe est devenue une prostituée mise sur le trottoir par son maquereau. Eh oui, ce qu’on appelle complaisamment la classe politique, avec un nombre impressionnant d’hommes de premier plan, qui ont voulu à toute force « construire l’Europe ». Avec un coup de pied dans les fesses de la pute, au son de la CONCURRENCE LIBRE ET NON FAUSSEE.

 

 

Sans entrer dans le détail du complot, au centre duquel figure la « monnaie unique », disons que la prostituée va devoir cracher le maximum, au nom de cette trouvaille géniale : « concurrence libre et non faussée ». Pourtant, la pauvre Europe, elle n’a pas mérité les tombereaux d’avanies et d’ordures que le monde déverse depuis quelque temps sur son pauvre corps mis à mal. Comme dit GEORGES BRASSENS : « C’est pas tous les jours qu’elles rigolent, parole, parole ! ».

 

 

C'est entendu, je ne parlerai pas des avanies financières que des traders et des spéculateurs à tendance nazi font pleuvoir sur l'Europe tant qu'elle n'a pas été réduite à quia. Je ne parlerai que de ces vieux remugles d'arrière-boutiques, de ces causes qu'affectionnent les  mauvais avocats tiers-mondistes en mal de thune et de publicité, tel cet ahuri qui demandait récemment aux tribunaux belges d'interdire définitivement un odieux pamphlet raciste, un insupportable brûlot colonialiste : Tintin en Afrique.

 

 

Je ne parlerai que des reproches adressés aux Européens en général, et aux Français en particulier.

 

 

1 – LA REPENTANCE

 

Et d'abord, ils sont combien à lui demander des comptes ? Et sur le mode sévère ! Pauvre Europe. La repentance ! En chemise et la corde au cou ! Comme les bourgeois de Calais ! Eh bien parlons-en, de la repentance ! Encore une belle imposture que certains enfoncent à plaisir dans le gosier des Européens, et que le gosier de certains avale sans sourciller comme vérité d’évangile.

 

 

Tiens, l’Algérien. Comment il s'appelle, déjà ? ABDELAZIZ BOUTEFLIKA. Pour lui, la France doit se repentir. C’est la condition d’une « réconciliation », mais seulement si lui l’Algérien veut bien consentir à solder  l’affaire. A mon avis, l’Algérien n’est pas près de décréter la France libre de dette : on ne lâche pas si facilement le « pigeon » et le « fromage » quand on tient bien en main une telle vache à lait qu’on peut traire à volonté. Monsieur BOUTEFLIKA (ou plutôt les généraux qui tiennent les fils de sa marionnette) ne se « réconciliera » vraiment avec la France que lorsqu’il lui aura fait cracher au bassinet plus que le maximum.

 

 

Car c’est entendu, le colonisateur, c’est le méchant. Le colonisé, de son côté, il est devenu un icône, il est béatifié, angélifié, statufié, vertuifié. En tout cas du côté du BIEN inoxydable. On est maintenant estampillé « colonisé » ad vitam aeternam. Y compris quand le colonisateur a déguerpi depuis un demi-siècle. Tout est dans l’étiquette. Et celle-ci accorde, à tous ceux qui ont ainsi été nommés chevaliers de l’ordre du colonisé,  un droit définitif sur le colonisateur. Pourquoi s’en priver ?

 

 

Moyennant quoi, ça va faire cinquante ans qu’il n’y a plus de colonisés  en Algérie, et que le peuple algérien se fait royalement plumer par la clique algérien au pouvoir, qui lui maintient la nuque sous la botte, tout en fermant les yeux sur le sport national, le « trabendo ». Le « trabendo » algérien, c’est ce qui s’appelle chez nous « système D ». Appelez ça, si vous voulez, travail au noir. Autrement dit, tous les petits trafics qui aident les petites gens à survivre.

 

 

Pareil pour les autres pays que la France a colonisés : Afrique Occidentale Française, Afrique Equatoriale Française, comme on disait, avec quelques confettis maritimes à droite et à gauche. Mais c’est en Afrique que c’est le plus visible. En haut, une élite achetée qui a conclu un pacte avec le colonisateur qui s’en va, promis, juré. En bas la piétaille, le petit peuple, les gens de rien du tout. C’est pas beau, l’INDEPENDANCE ? C’est merveilleux, quand on y pense. Pour l’Algérie, c’est 1962. L’élite  algérienne s’appelle, en gros, l’Etat-Major des armées. A lui le gros du trafic. A la piétaille le trabendo.

 

 

D'autant plus que, c’est bien connu, l’Algérien n’a jamais, avant 1830, envoyé ses bateaux pirates en Méditerranée, n’a jamais pratiqué l’enlèvement crapuleux d’Européens et, pour tout dire, de chrétiens, pour en obtenir des rançons substantielles. L’Algérien que le Petit Satan français a réduit en servitude à partir de 1830, a toujours été plus innocent que l’agneau qui vient de naître, et surtout, il n’a jamais commis aucune violence. Ben voyons ! Je poserai simplement la question : qui a réduit au silence, en 1962, la résistance FLN dite de l'intérieur ? Et cette autre question : et les harkis ?

 

 

Finalement, il doit faire marrer les vrais connaisseurs de la situation, BOUTEFLIKA, avec ses remontrances et ses chantages à l’ancien colonisateur ! « Que la France fasse repentance pour les crimes commis ! ». Vas-y Toto ! Lui et ses copains n’ont bien sûr aucun sang sur les mains ! Comme on dit, c’est l’hôpital qui se fout de la charité. Ou encore, c’est l’histoire de la paille et de la poutre. Cela ne veut évidemment pas dire que la France était dans son bon droit en occupant l’Algérie.

 

 

Il y a aussi, naturellement, les Noirs. Pas n’importe quels Noirs : TOUS  les Noirs de la planète. C’est curieux, on dirait parfois qu’il suffit de cette  couleur de peau pour hériter le statut d’esclave. La "négritude" chère à SENGHOR. Comme si être Noir portait brevet de descendant d’esclaves ! Pour eux, il s’agit de poser un pied triomphant sur le grand fauve désormais à terre : « chacun son tour », déclarait une personne qui m’est très chère ! Quelle erreur ! Quel aveuglement ! Quel mensonge, si c'était dit par quelqu’un bien au fait de la vérité !

 

 

Les Algériens ne se doutent pas de la chance qu’ils n’ont pas eue : avoir des ancêtres esclaves. Ils devraient être jaloux. Mais l'histoire ne repasse pas les plats. Esclave ? Mais oui ! Ça te fait une carte de visite pour les quatre siècles à venir. Que dis-je : un passeport, un droit d’entrée, la facture de la revanche que tu présentes au coupable, qui baisse aussitôt la tête et se frappe la poitrine.

 

 

Prononce-le, ce mot : ESCLAVAGE. Tous les Blancs de la planète s’arrachent les cheveux, se griffent le visage, se couvrent de cendre, se prosternent. Bref : ils demandent pardon. Enfin, pas tous. OBAMA, il leur a fait le coup de la repentance, mais c'est pour avoir la paix. Car globalement, c'est la GRANDE REPENTANCE. Parce que les Blancs (les peuples, pas les Etats) sont convaincus qu’ils sont intrinsèquement mauvais. Enfin, leurs ancêtres.

 

 

Oublions bien vite, évidemment, que le premier esclavagiste de Noirs fut un Noir. Le second fut un Arabe. Le Blanc ne monte que sur la troisième marche du podium. Yapafoto, comme on entend dire aujourd’hui. Je ne mentionne pas ici les fourchettes d’estimations établies par les historiens : une fourchette qui varie du simple au double, il vaut mieux s’en passer. Mais ils ne contestent pas, en général, l’ordre de préséance.

 

 

Disons simplement que les historiens, selon qu'ils sont Blancs ou Noirs, c'est-à-dire scientifiques ou militants (là j'exagère), parlent de 10.000.000 à 25.000.000 pour le commerce transatlantique. Ce faisant, ils oublient d'ailleurs le commerce intra-africain et le commerce trans-saharien, qui fut sans doute bien plus florissant, car étalé sur une durée bien plus longue.

 

 

Héritage solide et permanent des guerres de l’antiquité, le Noir vaincu  de la guerre du jour devient le lendemain un travailleur gratuit pour le compte de son Noir vainqueur. Et en Afrique, c’est une tradition solidement établie, et si solidement qu’elle se perpétue de nos jours. Avec ce progrès que la guerre n’est plus nécessaire, même si ça aide bien. Il suffit que la tradition soit « établie ».

 

 

On peut s’en convaincre en lisant l’histoire de cette femme malienne, racontée il y a quelque temps dans Le Monde, qui déclare à sa fille qu’appartenant à une ethnie inférieure, il est normal qu’elles soient esclaves. Ami lecteur, va te balader aujourd’hui même au Mali, au Niger, et autres pays à haut potentiel touristique, et sors du circuit mitonné et acheté en agence. Va voir le « pays réel ». C’est là que tu découvres le Noir esclavagiste du Noir. Et c’est aujourd’hui ! Du coup, c'est l'Européen qui devient le Bon, dans l'histoire.

 

 

Oublions aussi, pendant que nous y sommes, l’esclavage transsaharien. Ben oui, quoi, l’Egypte, l’Arabie, tout le Proche Orient, où allaient-ils chercher leurs travailleurs ? J’ai parlé des Ottomans qui sont allés ratiboiser les villages chrétiens de l’Europe orientale de leurs garçons chrétiens, pour faire des plus costauds d'entre eux des Janissaires bons musulmans. Et ça a duré des siècles. Ben oui quoi, le coran dit qu'un musulman n'a pas le droit de rendre esclave un autre musulman, mais il ne dit rien de tous les autres.

 

 

Les Arabes (qui ne sont pas des Turcs) ? Ils ne sont pas en reste : ils sont allés puiser leur main d’œuvre en Afrique noire. A travers le désert. Il fallait vraiment un appât du gain à l’épreuve du sable et de la soif. C’était un temps où certains hommes étaient des valeurs d’échange. Et depuis le huitième siècle ! Aujourd’hui, leurs bateaux jettent leurs filets dans les eaux des Philippines et lieux circonvoisins pour ramener leur main d’œuvre servile. En respectant si possible les formes extérieures du contrat de travail (?).

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

A suivre ...

 

 

jeudi, 03 novembre 2011

L'ENFANT A LA SAUCE ONU

DIGRESSION : de l’importance des grands sentiments internationaux.

 

 

Tout laisse à penser que la tyrannie exercée à l’encontre des enfants a été définitivement balayée de notre meilleur des mondes. La meilleure preuve en est donnée par l’étalage des grands sentiments, au premier rang desquels figurent les grands sentiments internationaux.

 

 

Qu’on se le dise : contrairement à ce que laisse entendre un ménestrel du nom de GEORGES BRASSENS (« et les grands sentiments n’étaient pas de rigueur », c’est dans « Les Amours d’antan »), les grands sentiments internationaux sont de rigueur, comme les huit jours infligés au bidasse qui fait basculer la roue avant du camion dans la fosse d’évacuation des cuisines en roulant sur la plaque métallique qui la dissimule lâchement. Mais il n’y a plus de service militaire obligatoire.

 

 

Et pour que nul n’en ignore, il a été décidé d’apposer dans toutes les salles de classe la « Convention Internationale des Droits de l’Enfant ». Cette attrayante feuille dépliable et en couleur a été collée ou piquée dans le mur et, sans doute à force d’avoir été lue et relue par des jeunes avides d’apprendre ce qu’il ne sera plus désormais licite de leur faire subir, commence en général assez vite à montrer des signes de fatigue aux pliures et aux points d’attache, et tend d’elle-même à se décomposer sous le poids déchirant de sa propre importance.

 

 

On comprend l’avidité des jeunes yeux à la lecture de ce long poème lyrique de cinquante-quatre articles eux-mêmes subdivisés en des strophes d’importance variée, signalées suivant le cas par un grand I, ou un petit 1, voire un petit a (au total plus d’une centaine de subdivisions, sans doute dans le souci d’aérer le texte et d’en rendre la lecture plus facile), et rédigées par l’armée austère des juristes internationaux les plus qualifiés et les mieux dotés de la nécessaire et solide fibre poético-juridique, qu’on a vu se manifester avec un succès comparable dans la langue ô combien limpide de la « Constitution Européenne » de célèbre mémoire. Vous pouvez vérifier : cette phrase est grammaticalement irréprochable.  

 

 

Que cet effort syntaxique soit pour nous tous l’occasion tant attendue de lever notre verre hilare au « Préambule » de cette Convention des Droits de l’Enfant, car le dit « Préambule » est lui-même constitué d’une seule phrase. Attention, prenez votre souffle, c’est comme pour une immersion à 4000 mètres sans oxygène :

 

Les Etats parties à la présente Convention, Considérant que, conformément aux principes proclamés dans la Charte des Nations Unies, la reconnaissance inhérente à tous les membres de la famille humaine, ainsi que l’égalité et le caractère inaliénable de leurs droits, sont le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde,

Ayant présent à l’esprit le fait que …

Reconnaissant que les Nations Unies, …

Rappelant que, dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme …

Convaincus que la famille, …

Reconnaissant que l’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de …

Considérant qu’il importe de préparer pleinement …

Ayant présent à l’esprit que la nécessité d’accorder …

Ayant présent à l’esprit que, comme indiqué dans la Déclaration …

Rappelant les dispositions que la Déclaration …

Reconnaissant qu’il y a dans tous les pays …

Tenant dûment compte de l’importance …

Reconnaissant l’importance de la coopération internationale pour …

Sont convenus de ce qui suit : …………………………………….

 

Tout ceci est UNE SEULE phrase, évidemment, sinon ce ne serait pas drôle. On appelle ça des « considérants » : rien que des participes présents mis en apposition (j’ai souligné la proposition principale). Savourez le travail. Chapeau les artistes ! Un simple échantillon, et violemment tronqué, qui plus est.  Et j’ai corrigé quelques coquilles.

 

 

Vous comprenez que mon petit effort syntaxique de tout à l’heure n’est rien du tout, face à ce simple « Préambule » du monument juridique qui s’apprête à déferler juste après (54 articles), écrit dans le même ton poétique. Enfoncé, BAUDELAIRE. Et ça s’appelle un texte international. On comprend que son application effective se heurte à quelques difficultés.

 

 

On ne se doute pas de l’utilité (rions un peu) des fonctionnaires internationaux, pourtant, ils ne ménagent pas leurs efforts. Parcourant le monde avec à la main un carnet et un crayon, ils s’arrêtent dès qu’ils rencontrent un enfant. Ils lui posent les sept cent soixante-treize questions réglementaires que comporte le questionnaire officiel, auquel les ambassadeurs de cent quatre-vingt-douze pays sont arrivés après seulement soixante-deux ans de fructueuses réflexions et négociations.

 

 

Parmi les questions, notons par exemple, prise au hasard, la n° 343 bis : « Disposez-vous, le matin, d’un bol pour le café au lait ? ». La 343 ter : « Combien de tartines beurrées avez-vous le loisir d’y tremper ? ». Et la 343 quater : « Avez-vous le choix entre le miel et la confiture ? ». On voit par là que l’enfance ne laisse personne indifférent, à commencer par les grandes institutions, prouvant ainsi le haut degré de civilisation où le monde est enfin parvenu, après tant de siècles d’obscurantisme.

 

 

Ayant accompli sa mission de huit ans de vacations et divagations diverses, avec son carnet dûment et durement rempli, le fonctionnaire international peut alors rentrer d’Afrique à New York au volant de son 4 x 4 (c’est un 4 x 4 spécialement conçu pour la traversée de l’Atlantique à la rame) et fait son rapport. En général, il le tape sur une vieille machine mécanique de marque Underwood, tant il se veut économe des deniers alloués par les Etats du monde à l’institution à laquelle il s’enorgueillit d’appartenir. Il en a encore onze sur la planche.

 

 

Quand les douze rapports des douze fonctionnaires internationaux sont empilés sur le bureau de leur « n + 1 », deux fois plus large et long que le leur propre, comme le veut la hiérarchie, celui-ci monte dans son 4 x 4, deux fois plus long que le précédent, pour se rendre à la réunion des douze « n + 1 », dans le bureau beaucoup plus vaste du  « n + 2 », douze étages plus haut (ce sont des 4 x 4 à roues carrées, spécialement conçus pour le franchissement sans treuil des escaliers internationaux).

 

 

Après confrontations, additions, multiplications et réflexions poussées, le « n + 2 » ordonne à sa secrétaire de rédiger la synthèse, après avoir agité la sonnette d’alarme officielle de l’institution internationale, et de les transmettre (la synthèse et la sonnette d’alarme),  au secrétariat général. Cette synthèse, où il est fait mention du nombre officiel des enfants pauvres qui ont été dénombrés dans le monde, est immédiatement traduite dans les autres langues officielles de l’institution internationale.

 

 

On envoie ensuite synthèse et sonnette à tous les organes de presse du monde, sous forme de notice illustrée et chiffrée. Cette précaution a pour but et pour effet d’épargner aux journalistes des dits organes de presse le difficile et fastidieux travail d’analyse, de compréhension et d’interprétation des chiffres communiqués, des fois qu’il leur prendrait l’idée de leur faire dire autre chose que ce pour quoi ils ont été fabriqués. Chacun sait qu’un bon journaliste est un journaliste docile.

 

 

Le lendemain même de la réception de la notice illustrée et chiffrée, tous les organes de presse publient les mêmes chiffres alarmistes en première page et en gros titres : « 400 MILLIONS D’ENFANTS DANS LE MONDE VIVENT EN DESSOUS DU SEUIL DE PAUVRETÉ ». L’alarme aura donc résonné jusqu’au fond des chaumières, et la collecte des dons spontanés pourra donc commencer dès le lendemain aux aurores.

 

 

On ne se doute pas assez combien sont liées l’alarmisation des foules et la collecte des fonds pour venir en aide aux autres foules car, bien entendu ce ne sont pas les mêmes foules : les unes vivent au chaud, les autres vivent en zone tempérée, mais avec la clim. Un autre fonctionnaire international passera l’année prochaine avec un autre questionnaire pour demander aux parents de l’enfant si par hasard eux aussi sont pauvres.

 

 

L’institution internationale, en lisant ces gros titres, se frotte les mains et déclare : « Personne pourra dire qu’on a pas fait le job ! »(« to do the job », en américain), avant de fixer la date de la prochaine réunion, qui sera comme chaque fois dans une petite gargote new yorkaise, un français trois étoiles en général. En attendant, le secrétaire général officiel de l’institution internationale invite tous les collaborateurs ayant collaboré à joindre leur coupe de champagne officiel à la sienne et à entonner dans la langue officielle et d’une voix fière et  déterminée, l’hymne officiel à la gloire de leur action. C’est d’ailleurs le seul moment où il arrive qu’on entende des fausses notes. Pourtant, tous « connaissent la musique ».

 

 

Et le lendemain, les organes de presse du monde entier pourront enfin faire les gros titres qu’ils retenaient à grand-peine sur l’incroyable agression subie dans son travail par une femme de chambre de couleur marron foncé dans la suite 2806 d’un grand hôtel de la ville, de la part d’un fonctionnaire international blanc, quoique  légèrement gris du fait des libations internationales, aperçu la veille participant à une réunion importante dans le cadre de ses fonctions. Et chacun se dira : « Heureusement que l’actualité change  tous les jours, sinon, ça serait monotone. Passe-moi le sel ».

 

 

Fin de la digression sur les grands sentiments internationaux.  

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

dimanche, 21 août 2011

GEORGES BRASSENS : PUTAIN DE TOI !

C’est évidemment une chanson que j’adore. C’était l’époque où, dit-il : « je chantais pour des prunes, Et tendais la patte aux chats perdus ». C’est vrai qu’il a connu des temps de « vaches maigres », comme on disait autrefois, avant l’ère définitive de prospérité et d’abondance que nous connaissons désormais, depuis que la finance s’est abattue sur le pauvre monde, comme on le constate depuis 2007.

 

 

GEORGES BRASSENS, car c’est bien sûr de lui qu’il s’agit, a gagné beaucoup d’argent, mais ç’a été après. J’adore en particulier la deuxième strophe : « Un soir de pluie, v’là qu’on gratte à ma porte, Je m’empresse d’ouvrir (sans doute un nouveau chat). Nom de Dieu ! L’beau félin que l’orage m’apporte, C’était toi, c’était toi, c’était toi… ». Le dernier vers de la strophe est exceptionnel, vous avez bien lu : « C’était toi, c’était toi, c’était toi… ». Comme trois coups de marteau sur la tête. Pas besoin de plus.

 

 

Chacun voit l’apparition selon son bon plaisir, mais c’est quand même, à la base, une APPARITION. Bon, c’est vrai, ça finit comme souvent, mais même là, il fait fort : faire rimer « salope » et « escalope ». J’avoue qu’il faut être gonflé. Et ça passe.

 

 

J’aime aussi énormément « Le mauvais sujet repenti » à cause d’un drôle de jeu sur les valeurs morales convenues. « L’avait le don, c’est vrai j’en conviens, L’avait le génie, Mais sans technique, un don n’est rien Qu’une sale manie… ». « Sans technique, un don n’est rien qu’une sale manie » : quelle formule ! Car, disons-le, dans le métier qu’elle exerce : « Le difficile est de bien savoir Jouer des fesses ». Dans ce métier : « On ne tortille pas son popotin De la même manière, Pour un droguiste, un sacristain, Un fonctionnaire ».

 

 

Il devient donc le maquereau de la demoiselle. Mais elle prend un jour « une maladie honteuse » : « Elle me passa la moitié de ses microbes … ». L’image est drôle, même si on pourrait objecter qu’une contamination n’est pas exactement un partage, car ça aurait plutôt tendance à démultiplier les animalcules, alors que partager, c'est diviser. Il la quitte ensuite sur une formule géniale (je ne trouve pas d’autre mot) : « Comme je n’étais qu’un salaud, Je me fis honnête… ». Elle finit mal, en « maison », comme on ne dit plus. Et le pire, c’est qu’il « paraît qu’elle se vend même à des flics, Quelle décadence ! Y a plus de moralité publique dans notre France … ».

 

 

Tout le monde connaît le « tube » « Les copains d’abord », mais on connaît moins « Le vieux Léon », qui tient pourtant des propos identiques sur un thème identique. Dans l’une, c’est : « Quand l’un d’entre eux manquait à bord C’est qu’il était mort, Oui mais jamais au grand jamais Son trou dans l’eau ne se refermait … ». Dans l’autre : « Y a tout à l’heure Quinze ans de malheur Mon vieux Léon Que tu es parti Au paradis de l’accordéon » ; et « Tous sont restés Du parti des Myosotis ». C’est vrai que « Le vieux Léon » fait moins fanfare.

 

 

Le myosotis fleurit aussi dans « Les deux oncles », dans ses versions anglaise et allemande (forget me not et vergissmeinnicht), qu’on n’entend jamais. Sur les ondes, de loin en loin, « Le parapluie », peut-être à cause de la durée, quelques autres, plus rarement, mais BRASSENS, qui forme un continent à lui tout seul, reste largement inexploré.

 

 

Par exemple, sous l’angle autobiographique. Ça surprend, a priori, parce que « tonton Georges » reste de toute façon toujours pudique. Mais il y a trois chansons que je considère comme relatant des épisodes empruntés à sa vie. Il y en a sans doute d’autres (« Jeanne », « La cane de Jeanne », …), mais de mon point de vue, le tiercé gagnant est : « Les quatre bacheliers », « La princesse et le croque-note », « Stances à un cambrioleur ».

 

 

Le cas de la dernière est assez clair. Il y parle de son portrait : « L’exécrable portrait Que l’on m’avait offert à mon anniversaire ». Puis : « Respectueux du brave travailleur, tu n’a Pas cru décent de me priver de ma guitare, Solidarité sainte de l’artisanat ». Mais un cambriolage, cela peut être vécu comme un viol, mais ça garde un côté un peu anecdotique. Après tout, ce ne sont que des choses. J’en parle par expérience.

 

 

Le fond de réalité qui sert de base à la première est semble-t-il connu, puisqu’on trouve ça sur la notice wikipédia. « Les quatre bacheliers », c’est un très bel hommage au père, parce qu’il a su pardonner la peccadille de son petit. J’avais eu très tôt la puce à l’oreille, à cause d’une curiosité grammaticale. Pas grand-chose, vous allez me dire, mais quand même. Pensez, BRASSENS commence en disant « Nous étions quatre bacheliers ». Et puis il continue : « Nous nous fîmes un peu voleur » (de quelques bijoux de sa propre sœur quand même !). Enfin : « Les sycophantes du pays (…) Aux gendarmes nous ont trahis ».

 

 

A partir de là, fini le « nous ». Il passe à la troisième personne du singulier et du pluriel. J’ai toujours trouvé ça louche. Et j’ai donc eu confirmation en faisant quelques recherches. « Mais je sais qu’un enfant perdu (…) A de la corde de pendu (…) A de la chance quand il a (…) Un père de ce tonneau-là ». Franchement, j’aurais aimé être en mesure de rendre un hommage aussi magnifique, de là où je suis.

 

 

Quant à « La princesse et le croque-note », je ne sais pas si GEORGES BRASSENS a confié quoi que ce soit au sujet d’une telle histoire. On trouve aussi un tel refus chez LEO FERRÉ : « S’il n’y avait entre nous, petite, le CODE PENAL » (je cite de mémoire). Et puis SERGE REGGIANI, mais pour d’autres raisons, moins nobles, je trouve, car la réaction du vieux devant la jeune amoureuse est de penser au qu’en-dira-t-on : « Vraiment de quoi aurions-nous l’air, J’entends déjà les commentaires », ce qui manque peu ou prou de noblesse.

 

 

Tout ça me fait penser à la « scène de la Lettre », dans Eugène Onéguine : fa, mi, ré, ré, ré, do (bémol), si (double bémol), la, quand Tatiana déclare son amour à Onéguine (il me semble que c’est une première, dans l’opéra, de la part d’une jeune fille). Onéguine regrettera finalement amèrement de l’avoir alors repoussée. Ici, l’âge n’intervient pas, c’est un « simple », disons, « déphasage chronologique » : ils n’aiment pas au même moment. Mais c’est le même refus. A cause de la loi, dans les cas de BRASSENS et FERRÉ.

 

 

« Or, un soir, Dieu du ciel, protégez-nous ! La voilà qui monte sur les genoux Du croque-notes et doucement soupire, En rougissant quand même un petit peu : "C’est toi que j’aime et, si tu veux, tu peux M’embrasser sur la bouche et même pire." ». Il faut croire que le gratteur de guitare a eu la trouille, car il part dès le lendemain, sans demander son reste, « dans la charrette Des chiffonniers… ». Si quelqu’un a des lumières là-dessus, merci d’avance.

 

 

 Bon, sur ce, je vais prendre quelques vacances. Merci aux visiteurs d'avoir visité ce blog, et de revenir dans une quinzaine. Le 4 septembre, pour être précis.

 

mardi, 16 août 2011

MERCI TONTON GEORGES (2)

Je ne vais pas me mettre à énumérer les chansons de GEORGES BRASSENS. Ce n’est pas que ça me déplairait, mais ça vous fatiguerait assez vite. Tiens, dans quelle chanson trouve-t-on : « Ainsi que deux bossus tous deux nous rigolâmes » ? Dites un peu pour voir. Cette formule (qu’on trouve dans « La fessée ») me fait rire. En gros, « les-chansons-de-brassens », je me suis vautré, que dis-je, immergé dedans longuement.

 

 

Chose curieuse, il a fallu mon premier séjour en Allemagne, dans la belle maison (« Probstei ») de Möckmühl de la comtesse VON MOLTKE, pour que je découvre « Grand-père », chanson dans laquelle il s’agit d’enterrer le pépé, mais « chez l’épicier, pas d’argent pas  d’épices ; chez la belle Suzon, pas d’argent, pas de cuisse ». Donc là, ils n’ont pas le premier sou pour le cercueil, puis pour la messe, puis pour le corbillard.

 

 

Mais heureusement, grand-père se venge : « Or j’avais hérité de grand-père une paire de bottes pointues », grâce auxquelles il botte le train des salauds : « C’est depuis ce temps-là que le bon apôtre (…) a une fesse qui dit merde à l’autre ». Réjouissant. « Mon prince on a les dames du temps jadis qu’on peut. » Je dirai, par rapport à ce qu’on fait aujourd’hui : on a les rappeur qu’on peut. Il va de soi que CLARA (CLÄRLÄ pour les intimes) ne comprenait pas le moindre traître mot. Mais elle savait beaucoup d’autres choses.

 

 

Un fils de la maison, pour dire que le français n’avait de mystère pour personne dans la famille, avait dans sa chambre la collection à peu près complète du « Livre de poche », en plus de me flanquer de vraies raclées aux échecs.

 

 

Il y a tellement peu à jeter dans le grenier de GEORGES BRASSENS que je m’en veux un peu de déplorer une petite anicroche, oh, presque rien, un fétu, une misère. C’est dans la troisième strophe de « Quatre-vingt-quinze pour cent », vous savez, cette chanson qui proclame que dans 95 % des cas, « la femme s’emmerde en baisant ». Qu’est-ce qui lui prend de faire la liaison ? Mystère. Si la femme, dans ses ébats amoureux, crie « pour simuler qu’elle monte aux nues », dit-il, « c’est à seule fin que son partenaire se croie un amant extraordinaire ». On lit bien « croie », c’est bien le subjonctif présent : la liaison est donc une faute. Peut-être est-elle volontaire ?

 

 

GEORGES BRASSENS s’est, entre autres, immergé dans la poésie française. Il en a mis en musique une flopée, en commençant par des poèmes de PAUL FORT, qui ne sont pas trop ma tasse de thé. Mais il a fait quelques absolus chefs d’œuvre, où la musique est tellement bien adaptée aux contours du texte qu’on peut dire qu’elle les épouse. Le problème, ensuite, c'est que le poème n'existe plus pour lui-même : la musique s'est emparée de lui, et ne le lâchera plus. Tiens, ça n'a rien à voir, mais essayez d'écouter le début de la 5ème symphonie de BEETHOVEN sans entendre « La pince à linge » par Les Quatre Barbus !

 

 

 Le premier est un poème d’ANTOINE POL : « Les passantes ». Je me rappelle ce séminaire de sémiotique, animé par le prétentieux BERNARD PARRET, qui se piquait de connaître l’opéra, et dont le discours s’était révélé d’une insondable vacuité, au grand dam de mon ami YVES J., musicien de profession. L’autre animateur, BRUNO GELAS, soutenait que dans l’opéra, le texte n’est pas fait pour être compris. Texto !

 

 

Il y avait là, aussi et surtout, une jeune femme qui avait aimanté le regard de tout ce qui était masculin dans la salle. Le plus drôle, c’est que nous avions été plusieurs, après coup, à  lui parler de cette chanson, dont PATRICE E. Je ne sais pas quelle pouvait être l’impression de cette femme, d’avoir été l’objet de cet hommage fasciné. « Alors, aux soirs de lassitude, Tout en peuplant sa solitude Des fantômes du souvenir, On pleure les lèvres absentes De toutes les belles passantes Que l’on n’a pas su retenir. » ANTOINE POL n’entendit jamais la chanson, parce que BRASSENS était tellement maniaque qu’il ne voulait la livrer que poussée à la perfection.

 

 

LAMARTINE est l’auteur, lui, du magnifique « Pensées des morts ».  ROGER BELLET, mon professeur, ne voyait dans toute sa poésie qu'une sorte de « jus sirupeux » (authentique). « C’est la saison où tout tombe Aux coups redoublés des vents ; Un vent qui vient de la tombe Moissonne aussi les vivants : Ils tombent alors par mille, Comme la plume inutile Que l’aigle abandonne aux airs, Lorsque des plumes nouvelles Viennent réchauffer ses ailes A l’approche des hivers. » Est-ce que ce n’est pas très beau ?

 

 

Et puis j’ai découvert, somme toute très récemment, une chanson que je ne connaissais pas, parce qu’elle ne figurait pas dans les vinyles  33 tours : « A mon frère revenant d’Italie ». Pour le texte, c’est ALFRED DE MUSSET. Un petit miracle de nostalgie ironique (ou d’ironie nostalgique). Un petit miracle aussi de mariage avec la musique : une introduction à la pointe de la guitare par JOEL FAVREAU, l’inébranlable contrebasse de PIERRE NICOLAS, et c’est parti.

 

 

« Ainsi mon cher, tu t’en reviens D’un pays dont je me souviens Comme d’un rêve, De ces beaux lieux où l’oranger Naquit pour nous dédommager Du péché d’Eve. » Et puis : « Ischia ! c’est là qu’on a des yeux, C’est là qu’un corsage amoureux Serre la hanche. Sur un bas rouge bien tiré Brille, sous le jupon doré, La mule blanche. » Je regrette beaucoup que ce ne soit pas la dernière chanson du disque, car « Le roi boiteux » casse l’ambiance.

 

 

Pour résumer, les chansons de GEORGES BRASSENS sont tellement gravées dans mon disque dur qu'elles ressortent parfois spontanément, comme par exemple au réveil, où je me récite "Le grand chêne" ou "Le vingt-deux septembre". Voilà.

 

 

 

 

 

 

lundi, 15 août 2011

MERCI TONTON GEORGES (1)

« Tonton Georges », c’est dans « Le bulletin de santé » : « Et si vous entendez sourdre, à travers les plinthes Du boudoir de ces dames des râles et des plaintes, Ne dites pas : « C’est tonton Georges qui expire », Ce sont tout simplement les anges qui soupirent. ».

 

 

Quand on passe à Sète, si même on n’y va pas exprès, une halte au cimetière est obligatoire. Pas celui situé en hauteur, où se situe la tombe de PAUL VALÉRY, mais celui d’en bas, celui des pauvres. Ce n’est pas la plage, mais presque. La tombe est discrète. Une plaque elle-même discrète, en haut à droite, porte un nom : GEORGES BRASSENS (1921-1981). Juste en dessous, une autre plaque : JOHA HEIMAN, PUPCHEN (1911-1999). C’est avec lui qu’on l’a enterrée. Elle y avait droit.

 

 

La première chanson de BRASSENS qui m’est tombée dans l’oreille, c’est « Les amoureux des bancs publics ». Un disque 33 tours, 25 cm. Je ne me rappelle plus les autres chansons de l’album. Peut-être « Brave Margot » ? « Il suffit de passer le pont » ? « J’ai rendez-vous avec vous » ? En tout cas, le disque tournait sur l’électrophone gris de la Guilde du disque, et « Les amoureux » m’est restée. J’avais peut-être huit ans.

 

 

Dans le placard, il y avait aussi YVES MONTAND, même format, avec « Battling Joe » et « Les grands boulevards », que je connaissais par cœur : « On a des chances d’apercevoir Deux yeux angéliques Que l’on suit jusqu’à République ». C’était l’époque où MONTAND chantait : « Je ne suis pas riche à millions, Je suis tourneur chez Citroën ». Une autre époque, quoi !

 

 

« Les amoureux des bancs publics », peut-être pensais-je à ces deux tourtereaux goulus, qui se mangeaient la bouche sur le banc du square Michel Servet, juste en dessous de la cour de récréation. Ça avait l’air agréable, mais c’était une très mauvaise idée, ce banc, ils n’auraient pas dû, car COHEN leur avait gueulé : « Sucez-vous la poire ! » pour notre plus grande et bruyante joie, si bien qu’ils avaient dû s’enfuir. C’était la classe de Madame ARGELIÈS. Des sales gosses, vraiment. Ou jaloux. Ou impatients de passer au même genre de travaux pratiques ?

 

 

« Les Amoureux des bancs publics » c’est d’abord un joli texte, mais il y avait, vers la fin, ces mystérieux « toizarts », des « toizarts des rues », pour être précis. Je vous imagine aussi perplexes que je le fus : qu’est-ce qu’un toizart ? Et puis un jour, j’ai eu les paroles sous les yeux, et là, enfin, vint la lumière. « Ils s’apercevront émus Que c’est au hasard des rues Sur un de ces fameux bancs Qu’ils ont vécu le meilleur morceau de leur amour ». Eh oui, « c’est au hasard », mais avec la liaison, faite comme il faut. La Marseillaise m’a posé le même genre de problème, d’ailleurs, à peu près au même âge : je me demandais qui était ce soldat qui s’appelait Séféro. Ben oui, quoi : « Entendez-vous, dans les campagnes, Mugir Séféro ce soldat ? ». Passons.

 

 

LAURENCE avait – à l’époque, on s’entendait très bien – écrit un poème sur la page de garde de mon Brassens (Seghers, Poètes d’aujourd’hui, n° 99). Comme un idiot, je me le suis fait kidnapper en juin 1968. Et aucune demande de rançon ne m’a été adressée. Je le regrette encore, ce bouquin.

 

 

Celle de mes sœurs dont la chambre jouxtait la mienne écoutait « Les trompettes de la renommée ». J’appréciais particulièrement le père Duval. On a oublié le père DUVAL, curé et chanteur à la fois (« J’ai joué de la flûte sur la place du marché, mais personne avec moi n’a voulu chanter. »). BRASSENS lui a fait un sort éternel : « Le ciel en soit loué, je vis en bonne entente, Avec le Père Duval, la calotte chantante, Lui le catéchumène, et moi l’énergumène, Il me laisse dire merde, je lui laisse dire amen. ».

 

 

J’aimais beaucoup, aussi, « L’amandier », à cause de la « bouche gourmande des filles du monde entier », évidemment : « Et mes lèvres sentent bon, et si tu me donnes une amande, je te donne un baiser fripon ». La fille mange tout : « Ma récolte était perdue », mais il n’a pas tout perdu : « Mais sa jolie bouche gourmande en baisers m’a tout rendu ».